NOUVELLE VAGUE (cinéma)

NOUVELLE VAGUE (cinéma)
NOUVELLE VAGUE (cinéma)

C’est Françoise Giroud qui intitula «nouvelle vague» une série d’articles sur la jeunesse publiés en 1958 dans L’Express . Bientôt, la formule allait s’appliquer au renouveau du cinéma français. La sortie des deux premiers films de Claude Chabrol – Le Beau Serge et Les Cousins – à un mois d’intervalle, en février et mars 1959, constitua l’événement fondateur; un jeune homme qui n’avait reçu aucune formation professionnelle, ni dans les studios (comme assistant à la mise en scène), ni dans les écoles (à travers l’I.D.H.E.C.), venait de réaliser, grâce à un héritage, deux films de fiction. Bravant la réglementation très stricte qui protégeait les métiers du cinéma en France comme à l’étranger, Claude Chabrol répétait l’exploit d’Orson Welles avec Citizen Kane en 1941. Il démontrait que l’on peut être cinéaste comme on devient romancier. La notion d’«auteur de films», qu’il avait défendue avec ses amis journalistes des Cahiers du cinéma (Truffaut, Rohmer, Godard, Rivette), devenait une réalité.

Quelques semaines plus tard, en mai 1959, le festival de Cannes allait consacrer la nouvelle vague de deux manières. D’abord par la présentation simultanée du film d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour , et des Quatre Cents Coups de François Truffaut, qui obtint le prix de la mise en scène. Resnais venait du court métrage et signait sa première œuvre de fiction. Truffaut était critique. En rapprochant ces deux œuvres, et leurs auteurs, on abolissait toute frontière entre professionnels et amateurs. Au cours de ce même festival, une vingtaine de réalisateurs rassemblés à La Napoule signèrent un manifeste et posèrent pour une photo historique. «Réunis par les hasards du festival», ils constatèrent «un accord complet sur le fond et un désaccord total sur le détail. Impossible, observaient-ils déjà, d’élaborer aucune définition précise [...]. Envie de faire des films et non pas une carrière dans le cinéma». Parmi eux, Jacques Doniol-Valcroze, Roger Vadim, Jacques Rozier, Robert Hossein, Édouard Molinaro, François Reichenbach, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, François Truffaut. La nouvelle vague était née.

Les sources de la nouvelle vague

Il y a toujours eu des avant-gardes dans le cinéma français. Il y a toujours eu des intellectuels préoccupés par la recherche et s’efforçant de se démarquer de la production commerciale. On ne retrouve aucun de ces traits dans l’apparition de la nouvelle vague. Elle réunit aussi bien des autodidactes comme François Truffaut, des étudiants en rupture d’études comme Jean-Luc Godard, des universitaires comme Éric Rohmer, des techniciens comme Alain Resnais ou Jacques Demy, etc. Il n’y a, à proprement parler, ni mouvement, ni programme, ni école, ce qui provoquera toutes les ambiguïtés, confusions, malentendus. En outre, les cinéastes de la nouvelle vague ne demandaient qu’à s’insérer dans la production commerciale. Ce qu’ils ont tous réussi tôt ou tard, et on le leur a assez reproché.

La nouvelle vague est d’abord un phénomène de génération. À cet égard, la formule de Françoise Giroud s’appliquait bien à eux, et cette définition a toujours fait l’unanimité, quelle que fût la violence des polémiques. Les intéressés eux-mêmes s’y sont reconnus. Truffaut: «La nouvelle vague n’avait pas un programme esthétique: elle était simplement une tentative de retrouver une certaine indépendance perdue aux alentours de 1924, lorsque les films sont devenus trop chers, un peu avant le parlant [...]. À cette époque, les metteurs en scène étaient tous très jeunes, c’est ahurissant de voir que Hitchcock, Chaplin, King Vidor, Walsh, Ford, Capra ont tous fait leur premier film avant l’âge de vingt-cinq ans. C’était un métier de gamin que celui de cinéaste et ça doit l’être...» Et Rohmer de confirmer: «Il s’agissait avant tout d’une relève de génération. Avant 1959, il était très difficile de faire un film, d’entrer directement dans la profession cinématographique. D’ailleurs, entre 1950 et 1960, très peu de nouveaux cinéastes étaient apparus.»

Quelle était donc la situation du cinéma français après la Seconde Guerre mondiale? Pendant l’Occupation, le cinéma américain avait disparu de nos écrans. Quand il revint en force après 1945, il devait susciter à la fois l’engouement populaire et la méfiance des professionnels et des critiques. Les premiers redoutaient, non sans raison, une concurrence qu’ils n’avaient plus l’habitude d’affronter. Les critiques et les intellectuels les rejoignaient pour des motifs idéologiques. On a vite oublié la querelle qui, à propos de Citizen Kane , opposa Jean-Paul Sartre et Roger Leenhardt dans L’Écran français , hebdomadaire de cinéma qui faisait autorité à l’époque et qui était communiste. Sartre avait détesté le film d’Orson Welles et concluait ainsi son article: «Citizen Kane n’est pas pour nous un exemple à suivre.» Un an plus tard, en 1946, et dans le même journal, Roger Leenhardt, compagnon d’Emmanuel Mounier et critique de films à la revue Esprit depuis 1934, ouvrait son plaidoyer par une observation pertinente: «En France, rien n’agace comme le génie.» Que le texte de Sartre soit demeuré introuvable jusqu’en 1987 et que Leenhardt soit considéré comme le parrain de la nouvelle vague, voilà qui jette quelque lueur sur le climat intellectuel où grandissait la nouvelle génération de cinéastes.

Attitude protectionniste et corporatiste des gens de métier, rejet par l’intelligentsia du cinéma le plus vivant, divers et inventif du monde, il n’en fallait pas plus pour provoquer une vive réaction des amoureux du septième art, qu’on n’appelait pas encore des «cinéphiles».

L’esprit de la nouvelle vague

Dès 1948, ceux-ci vont se regrouper, toutes générations confondues, pour réagir contre les tendances sclérosantes qui menacent le cinéma français. En créant le ciné-club Objectif 49, André Bazin, Jean Cocteau, Jacques Doniol-Valcroze, Roger Leenhardt, Alexandre Astruc entendaient bien jouer un rôle décisif dans les orientations de notre cinéma. La même année, le Festival du film maudit présentait à Biarritz le «programme» d’Objectif 49. Le texte de Cocteau qui introduisit la manifestation contenait déjà en puissance tout ce qui allait germer les années suivantes dans une nouvelle revue, les Cahiers du cinéma , sous la direction d’André Bazin: «Après une longue époque d’énigmes, il arrive que l’audace se présente sous les auspices de la simplicité. Voilà une grande minute de solitude. Car ni les simples, ni les intellectuels ne la reconnaisssent [...]. Un art inaccessible aux jeunes ne sera jamais un art.»

Ces phrases prophétiques ont été entendues par les jeunes gens qui vont constituer la jeune équipe des Cahiers du cinéma . Ceux qui se nommeront les «hitchcocko-hawksiens» prétendent bien défendre toutes les valeurs du cinéma. Et notamment celles qui se cachent dans la production la plus populaire de Hollywood, méprisée chez nous. Ils révéleront donc les beautés secrètes des films de Hitchcock ou de Nicholas Ray, et celles qu’on ignore chez les créateurs «maudits» du cinéma européen: Bresson, Renoir (oublié depuis l’échec de La Règle du jeu et son exil aux États-Unis), Rossellini, Rouch, Ophuls (dont le dernier film, Lola Montes , sortira en 1955 un an avant les premières tentatives de Chabrol).

Pour justifier ces choix esthétiques apparemment contradictoires, mais aussi pour préparer le public aux films qu’ils s’apprêtent à faire, les critiques des Cahiers vont lancer vers le milieu des années 1950 ce qu’ils ont appelé la «politique des auteurs».

Sans nul doute, c’est Alexandre Astruc qui avait annoncé en 1948-1949, dans plusieurs articles retentissants, l’avènement d’un cinéma d’auteurs destiné à remplacer un cinéma de stars et de producteurs. Sa formule fameuse – la «caméra-stylo» – marquait tout simplement une rupture avec la tyrannie du spectacle. Le cinéma pouvait devenir un langage aussi souple et subtil que l’essai ou le roman. Projet repris par Truffaut dans un article de Arts en 1957: «Le film de demain m’apparaît [...] plus personnel encore qu’un roman, individuel et autobiographique comme une confession ou un journal intime [...]. Le film de demain ressemblera à celui qui l’a tourné...»

Parce que la nouvelle vague a surgi dans un climat hostile, parce qu’elle a suscité les polémiques les plus vives mais aussi les plus sournoises et les plus durables, le recours à la notion d’«auteur» a été reconnu comme un fait stratégique et politique, dont on a amplifié l’importance pour laisser dans l’ombre sa portée esthétique et morale. En caricaturant à l’extrême – ce qu’on n’a pas manqué de faire –, on a pu affirmer que la politique des auteurs n’était qu’un stratagème habile pour imposer un premier film, quel qu’il soit.

Des styles

Or le projet ambitieux énoncé par Astruc et illustré par les Cahiers du cinéma a été réellement mis en œuvre, voire dépassé. En 1952, Alexandre Astruc réalise Le Rideau cramoisi , montrant qu’on n’«adapte» pas une œuvre littéraire au cinéma: on la recrée. Quelques mois plus tard, le premier article de Truffaut développe cette idée (qu’il appliquera rigoureusement dans ses films inspirés par des œuvres romanesques): l’auteur, c’est celui qui s’engage en ré-écrivant le texte avec ses acteurs, sa caméra, bref son style . L’auteur de films se définit donc par le style (non par la technique, ou le sujet), qui permet de partager l’unique, de rendre universel le singulier. Le style est affaire de morale.

Ainsi, les différences – voire les divergences – de plus en plus nettes entre les cinéastes de la nouvelle vague ne doivent pas dissimuler que ceux-ci ont fait apparaître, dans leurs œuvres et à l’image des modèles qu’ils s’étaient donnés, la présence d’un style. Entre La Pointe courte d’Agnès Varda (1954) et À bout de souffle de Godard (1960), il y a un trait commun: cette révélation d’un style. Ce qui faisait dire à Godard, dès 1962: «Avant la guerre, entre, par exemple, La Belle Équipe de Duvivier et La Bête humaine de Renoir, il y avait une différence, mais seulement de qualité. Tandis que, maintenant, entre un de nos films et un film de Verneuil, Delannoy, Duvivier ou Carné, il y a vraiment une différence de nature.» C’est pourquoi il faut dissiper l’idée reçue selon laquelle la nouvelle vague aurait «déstabilisé» l’industrie du cinéma français en introduisant, contre le professionnalisme, l’amateurisme, l’improvisation et l’incompétence. Si les premiers films de la nouvelle vague – À bout de souffle , Les Quatre Cents Coups , Lola – ont été tournés avec de petits budgets et des techniques légères (caméra portée, éclairage réduit, pas de studio), si Godard écrit ses dialogues avant de filmer une scène au lieu de s’appuyer sur un scénario où tout est prévu, il n’a jamais existé de règle économique ou technique pour les cinéastes de la nouvelle vague. Dès qu’ils le purent, Chabrol, Truffaut, Godard, Demy et, plus tard, Rohmer ont fait des films avec des devis et des moyens plus lourds. Ils ont utilisé le studio et les ressources techniques dont ils pouvaient avoir besoin. Là encore, le malentendu est flagrant: on a confondu la fin et les moyens, la vérité et l’apparence.

Il est vrai que la nouvelle vague a opéré une révolution technique. Mais, dans la mesure où la technique était au service d’un style, donc susceptible d’adaptation, elle pouvait changer beaucoup d’une œuvre à l’autre. Il y a eu un style propre à la photographie nouvelle vague, dont on trouve les sources aussi bien dans les premiers films de Melville (Le Silence de la mer , 1948, Bob le Flambeur , 1956) que dans les films de Jean Rouch, Moi un Noir (1958). Les grands chefs opérateurs de la nouvelle vague, Raoul Coutard, Henri Decae, ont certes bousculé la profession parce qu’ils ont été des expérimentateurs audacieux. Ils ont incité les fabricants de matériel et les laboratoires à aller plus loin, à mettre au point des caméras et des émulsions, des dispositifs d’éclairage plus performants. Le cinéma de Godard tout entier, des Carabiniers à Prénom Carmen , témoigne de cette recherche, de même que celui de Rohmer, depuis les premiers Contes moraux jusqu’au Rayon vert (techniques légères), en passant par l’étonnant Perceval (entièrement réalisé en studio).

Sujets, modèles, création

Pour la même raison, il faut écarter le reproche tenace qui a pu laisser croire que la nouvelle vague méprisait les «sujets» et n’avait rien à dire. Parce que cette génération réunissait de véritables artistes, elle ne s’est pas embarrassée des vaines querelles autour du fond et de la forme. D’emblée, les jeunes critiques qui apprenaient le cinéma auprès d’Henri Langlois et d’André Bazin, à la Cinémathèque française et dans les ciné-clubs, ont su qu’un western ou une comédie de Hawks avaient plus de profondeur qu’un film à thèse d’André Cayatte ou une adaptation de Stendhal par Claude Autant-Lara. Les Bonnes Femmes (1960) de Chabrol, Vivre sa vie (1962) de Godard, Muriel (1963) de Resnais, Adieu Philippine (1963) de Rozier, Les Parapluies de Cherbourg de Demy nous apprennent beaucoup plus sur leur temps que maint film engagé ou à prétention sociologique des années post-68. Tout simplement parce que la beauté est le plus court chemin vers la vérité.

C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner si ce qu’il y a aujourd’hui de plus neuf et de plus fort dans le cinéma mondial est encore marqué, directement ou indirectement, par l’esprit de la nouvelle vague: Maurice Pialat, Wim Wenders, Marguerite Duras, Milos Forman, Raymond Depardon parmi tant d’autres. À cet égard, la nouvelle vague semble moins avoir été une rupture qu’une redécouverte des traditions les plus vivifiantes du cinéma mondial. Entre Renoir et Woody Allen, Hitchcock et Jim Jarmusch, Bergman et Tarkovski, la nouvelle vague a été une grande leçon de liberté. Et d’exigence. Cette génération de cinéphiles – la première dans l’histoire du cinéma – aura su montrer que la création et le renouveau en art empruntent une voie paradoxale: il faut se donner des références et des maîtres pour accéder à l’originalité et au style. Comme le disait Godard: «L’invention passe par la convention.»

Encyclopédie Universelle. 2012.

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